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A travers le film, Cesaria Evora la diva aux pieds nus, sorti en France le 29 Novembre 2023 dans les salles de cinéma, un an après sa sortie portugaise, la documentariste portugaise Ana Sofia Fonseca, dresse le portrait intime de cette femme résolument libre. Pour montrer  le lien profond de Cesaria Evora avec son pays dont elle est devenue l’incarnation et la voix à travers le monde, Ana Sofia Fonseca a réalisé un impressionnant travail d’archives essentiellement privées (audio, vidéo, photographiques) et très long (plus de trois ans de recherches). Pour privilégier la femme intime, la réalisatrice n’a montré que peu d’images de concerts, essentiellement des extraits de prestations dans des bars, quelques scènes portugaises, faisant surtout voyager la musique dans des scènes de rue et à travers les paysages capverdiens, terre aride et pauvre dont Cesaria est le reflet. Sa simplicité, malgré son immense notoriété internationale, reste une constante dans ce film qui éclaire le besoin de cette grande dame de rester elle-même sur sa terre comme sur les plus grandes scènes du monde. Construite par thématiques (Cesaria et les hommes, Cesaria et l’argent, Cesaria et le colonialisme et la discrimination, Cesaria et la famille, Cesaria et l’alcool, Cesaria et la France, un pays qu’elle portait dans son coeur, y ayant connu ses premiers succès), cette fresque émouvante dresse le portrait d’une femme enfermée dans son monde, seule au milieu de la foule qui peuple sa maison et sa vie,  éternellement pauvre malgré son incroyable succès mais farouchement libre. « Je ne crois pas aux rêves« ,  disait-elle. Découvrez ci dessous (version audio anglaise et version française écrite) la passionnante interview d’Ana Sofia Fonseca, l’immense aventure qu’a représentée la recherche d’archives et sa vision émouvante et profonde  de Cesaria Evora dont elle a partagé de nombreux moments, en tant que réalisatrice mais aussi en tant que voisine.  Un bel hommage d’une femme à une autre femme.

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ITW – English version 

ITW – version française

SC. Bonjour Ana Sofia Fonseca . Tout d’abord félicitations pour ce travail qui nous éclaire sur le lien intime entre Cesaria Evora et le Cap-Vert. Que représente-t-elle pour vous ?

ASF. Elle est l’exemple de la complexité humaine. Il est impossible de ne pas être touchée par elle. Sa voix est le portrait de sa vie. Pour moi, il est important de comprendre la femme pour comprendre la voix et la musique.

SC. Le travail d’archives est énorme, radio, TV, photos, archives privées. C’est impressionnant ce que vous avez trouvé sur sa vie.

ASF. Elles viennent de différentes sources et ont été difficiles à trouver. La plupart sont des archives privées. Nous avons travaillé pendant plus d’un an sans rien trouver de spécial. Un jour, un musicien nous a contacté. Il avait une petite caméra mais ne se rappelait pas où se trouvaient les cassettes. Nous avons dû attendre et un an plus tard, il a retrouvé les cassettes et nous les a remises. Elles étaient pleines de poussière, emballées dans un sac plastique. Petit à petit, de nombreuses personnes nous ont trouvé une photo par ci, un enregistrement par là.

SC. Ces archives très diverses , photos, enregistrements audio, vidéo, sont un véritable puzzle. Comment les organiser ?

ASF. J’ai travaillé un an avec une éditrice. Nous avons beaucoup discuté sur la façon de constituer le puzzle. Nous voulions créer un narratif, une structure, pas une structure traditionnelle. Nous voulions être créatives.

SC. Vous avez en fait créé ce narratif autour de différents thèmes dont le lien avec le Cap-Vert en premier. Vous avez présenté très peu de concerts pour éviter le style « success story ». La plupart des  concerts ont lieu au Cap-Vert, au Portugal, essentiellement dans les bars. Il n’y a pas de grands concerts internationaux. Vous avez surtout privilégié ce lien avec le Cap-Vert.

ASF. Quand on parle de Cesaria, on parle du Cap-Vert. Sa personnalité reflète cet archipel, ce pays. Elle est cet océan, ce vent. Pour comprendre l’individu, il faut comprendre le contexte. les différents temps et les différentes situations politiques. Il est important de parler du colonialisme. Des sujets comme le racisme et la colonisation sont des sujets importants .Impossible de faire un film sans parler de ces deux thèmes.

SC. Il y a cette partie sur ses années passées à l’orphelinat notamment où est révélé le poids du colonialisme et de la ségrégation raciale. Vous évoquez aussi le problème du machisme,  sa relation avec les hommes, avec notamment ce passage avec Compay Segundo.

ASF. Cesaria est une femme éprise de liberté. Si ce n’est pas facile maintenant, imaginez il y a des années et surtout pour une femme pauvre. Il est très intéressant de connaître sa personnalité, de voir comment elle gère les choses, les hommes, le succès. Elle n’a jamais été conquise par le succès. Cela n’a pas changé sa vie. Quand la gloire est arrivée, elle l’a accepté. C’est une femme simple, très humble et d’une énorme générosité.

SC. Elle est généreuse avec ceux qui l’ont aidé. Elle n’oublie pas les gens et a redonné mais elle a été exploitée à travers cet argent,  par tout le monde, y compris par sa famille. Même ses petits enfants le disent « on lui demandait de l’argent tout le temps » . Elle est libre, elle est généreuse mais elle est exploitée par son entourage.

ASF. Comme nous tous. Elle est très proche de sa famille. C’est tout pour elle, ses enfants, ses petits enfants . Sa famille est très importante.

SC. Elle ne leur a rien laissé, aucun héritage. Son compagnon est mort dans la misère.

ASF. Nous ne pouvons pas penser à elle avec notre schéma mental, notre esprit. Elle avait un schéma mental différent et un autre background culturel. Il est difficile de la voir avec un esprit européen.

SC. Elle est effectivement très entourée mais le sentiment qui se dégage dans votre film, c’est cette solitude . Elle donne le sentiment d’être ailleurs, de ne jamais être présente et vous montrez ça très bien.

ASF. Elle a besoin d’avoir son propre espace mental. Elle a besoin de rester dans sa tête très souvent. Elle est toujours avec beaucoup de monde mais elle est dans son propre monde . On trouve cela chez beaucoup d’artistes.

SC.Elle dit à un moment donné du film « je ne crois pas aux rêves ». Diriez vous qu’elle était désespérée ?

ASF. Non. Elle accepte la vie telle qu’elle est tout simplement. Quand elle était pauvre, elle ne le vivait pas comme un drame.

SC. Vous faites ressortir dans votre film le lien qui existe entre le Cap-Vert et la musique , présente dans toutes les scènes de la vie quotidienne.

ASF. La Cap-Vert est un pays de musique. Il y a beaucoup de créativité, de talents, des grands compositeurs, des grands musiciens. Cesaria est tout cela. Il est impossible de parler d’elle sans parler du Cap-Vert. Elle l’a emporté avec elle partout et a ouvert à son pays les portes du monde.

SC. Ce film est-il un film sur le Cap-Vert ou sur Cesaria.

ASF. Parler de Cesaria, c’est parler du Cap-Vert.

 

Propos recueillis par Sylvie Clerfeuille

 

 

 

 

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Sylvie Clerfeuille

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