La passion des musiques noires
Fils d’un enseignant en poste dans une mission de la province du Transkei, ce jeune blanc passe son enfance au milieu des xhosas et s’initie tout seul au piano à l’âge de cinq ans. Quelques années plus tard, le « jeune gamin » se prend de passion pour le jazz en écoutant Duke Ellington à la radio et rêve déjà d’un grand orchestre de jazz. Etudiant au Cape Town College of Music, il suit sans enthousiasme l’enseignement classique : la musique qu’il y découvre est trop éloignée de celle qui vit autour de lui. Il recherche alors des musiciens noirs, fonde en 1959 son premier Big Band à l’Université du Cap, alliant le côté traditionnel du jazz ou plus largement de la musique noire, le côte spirituel qui découle de la réunion des musiciens, ce qu’il définit comme « le choc des énergies ».
Le premier groupe multiracial d’Afrique du Sud
Il forme ensuite The Chris McGregor Septet puis The Castle Lager Big Band, un big band de 17 musiciens comptant les plus grosses pointures du jazz sud-africain dont Abdullah Ibrahim, Kippie Moeketsi, Dudu Pukwana, Mongezi Feza, et bien d’autres… Cette formation sera sacrée « Meilleur groupe de jazz » au Castle Lager Jazz Festival en 1963. Cette prestation fera l’objet d’un album intitulé « Jazz/The African Sound », enregistré les 16 et 17 septembre 1963, au Castle Jazz Festival.
Chris McGregor & Blue Notes
Un an auparavant, Chris McGregor forme en parallèle un sextet, The Blue Notes composé de Mongezi Feza à la trompette, Dudu Pukwana au saxophone alto, Nikele Moyake au saxophone ténor, Johnny Dyani à la contrebasse et Louis Moholo à la batterie. Premier orchestre multiracial d’Afrique du sud (avec The Dollar Band), The Blue Notes et son swing vivant et métissé marqué par les musiques sud-africaines (marabi, kwela) et le bebop américain, lui assure la popularité mais se heurte aussi à des problèmes. Le gouvernement sud-africain met dans les années 1960 l’accent sur la culture et vote des lois interdisant les spectacles multiraciaux.
L’exil en Europe
Pour jouer avec ses musiciens noirs, Chris McGregor doit faire preuve de multiples ruses : un jour, le producteur de l’USAA (Union of Southern African artists) lui fait signer un contrat l’obligeant à s’enduire le visage d’huile de santal pour cacher sa peau blanche et à mettre un chapeau pour dissimuler ses cheveux. Il signe le contrat mais, au moment de monter sur scène, refuse de changer la couleur de sa peau. Au bout de deux ans et las des multiples tracasseries policières, le groupe, coupé des grands courants musicaux du monde, se décide à émigrer en Europe, à Londres d’abord. Cet exil les conduit en France où le groupe est accueilli dans de nombreux festivals dont celui de Juan les Pins. Chris McGregor y rencontrera l’écrivain James Baldwin qui le marque profondément.
Brotherhood of Breath, la confrérie du souffle
Sa musique apparaît au public européen comme une révélation très différente du « troisième courant » (fusion de jazz et de musique classique) qui domine alors la scène musicale européenne. Sa façon de jouer évolue inconsciemment en fonction des influences diverses. Il avoue aimer le jazz classique des années 1950/1960, subit l’influence de Duke Ellington et de Thelonious Monk, se passionne pour le bebop et le jazz improvisé de la scène britannique ainsi que le free jazz mais s’affirme surtout par un jazz ouvertement différent, ébouriffé et joyeux, marqué par la kwela et avant tout une œuvre collective. Le style de Chris McGregor est dominé par trois instruments : le piano utilisé comme une percussion, les voix et les cuivres. Avec The Blue Notes, il quitte bientôt la France pour la Suisse mais Nikele Moyaké (ténor) gravement malade rentre en Afrique du Sud et meurt peu après. C’est ensuite le départ pour Londres et une aventure peu commune. Passionné de big bands, il fonde le Brotherhood of Breath (la confrérie du souffle), y exprime l’esprit originel du jazz, sa convivialité, son swing, son humanité. Sa nouvelle formule qui voit le jour en 1970 connaît son premier grand succès dans la capitale anglaise lors d’un festival pop. Malgré le problème que pose le nombre impressionnant de musiciens , il fait tout pour maintenir sa cohésion et se lance également dans la réalisation de bandes originales de films. Il compose notamment avec des musiciens de highlife ghanéen dont Teddy Osei , « Kongi’s Theme », pour la bande originale de « Kongi’s Harvest » de Wole Soyinka mis en scène par Ossie Davis, effectuant à cette occasion un séjour au Nigeria.
L’agriculteur musicien
En 1975, il s’installe en France à St-Pierre de Caubel, un petit village du Lot et Garonne, trouve un petite ferme et est enregistré comme « agriculteur musicien ». Ses compositions originales aux sonorités xhosa et zulu, ses arrangements ouverts et peaufinés, ses solos improvisés et tendres et son beat bondissant séduisent bientôt l’Europe. Mais son ami le trompettiste Mongezi Feza, un des membres fondateurs des Blue Notes, disparaît brutalement, un choc profond pour cet être sensible.
Tandis que son big band offre sa dernière représentation à Toulouse en 1976, Chris McGregor développe une carrière solo offrant une musique aux caractéristiques proches de son travail orchestral comme les pulsations, le découpage du temps et les attaques incisives des cuivres. Il parcourt bientôt l’Europe et enregistre trois albums dont « Piano Song Vol. 1 » où chaque note est mise en exergue.
Derniers projets
Près de dix ans après sa création, The Brotherhood of Breath remonte de nouveau sur scène et réalise « Yes Please », proposant un style plus maîtrisé. L’année 1986 est marqué par la création du Chris Mc Gregor Trio avec Ernest Mothle à la basse et Gilbert Matthews à la batterie, deux sud-africains résidant en France. Chris Mc Gregor reforme une dernière fois son Big Band en 1988 pour les festivals d’Angoulême et de Paris.
Chris Mc Gregor n’est plus
Chris Mc Gregor s’est éteint d’un cancer du poumon le samedi 25 mai 1990 à la clinique St-Hilaire à Agen, dans le sud-ouest de la France. Depuis 1975, il s’est ’installé à St-Pierre de Caubel, un petit village du Lot et Garonne, en France.
Interview à propos de l’apartheid
« Il n’était pas facile de vivre en Afrique du Sud même lorsqu’on était blanc, si on n’accordait aucune signification à la couleur de la peau et que l’on pratiquait une musique à laquelle participaient des Noirs et des Métis ». Itw de Chris McGregor par Sylvie Clerfeuille, St-Pierre de Caubel, 1987.
*Sources :
Les musiciens du Beat Africain – 1993 – Bordas – Nago Seck, Sylvie Clerfeuille
Chris McGregor and the Brotherhood of Breath de Maxine McGregor.
Wikipedia
Itw de Chris McGregor par Sylvie Clerfeuille à St-Pierre de Caubel (1987) pour « Paroles et Musique » (revue musicale française).
[…] ans agoAdd Commentby Sylvie Clerfeuille0 Views1 min read3 semaines ago Artistes: Chris McGregor, Dudu Pukwana, Johnny Dyani, Louis Moholo, Mongezi Feza, Nikele Moyake Groupes: The […]