Sobo Badé : une oasis entre nature et culture
Surplombant la mer où, le soir tombé, les pirogues multicolores des pêcheurs lébou se posent sur la plage et les enfants dansent autour d’un ballon, se niche un lieu enveloppé de verdure et de sculptures faisant référence à la mer et aux esprits. Des terrasses couvertes de pierre de lisse et de coquillages et peuplées de hamacs, invitation à la rêverie et la méditation, un hôtel aux formes étranges façon facteur Cheval, des lieux de spectacles cachés dans les arbres (théâtre, case à musique, galerie, amphithéâtre). Cette oasis se nomme Sobo Badé en référence à la mythologie vaudou (« Sobo », dieu de l’orage et « Badè », divinité de l’éclair). Alliant respect de l’environnement, méditation et création, elle est l’œuvre d’un exilé haïtien, Papa Gérard, comme le surnomme affectueusement les villageois. Opposant au régime des Duvalier, accueilli en 1949 par le président Léopold Sedar Senghor, ce metteur en scène, sculpteur, poète et surtout rêveur disparait en 2022 à l’âge de 95 ans mais son œuvre demeure à travers le festival Rythmes et formes du Monde réunissant artistes du monde entier soucieux de l’environnement et population locale associée à cette vision. Dans ce festival aux multiples facettes, quelques musiciens se mobilisent comme KMou King, Donald Boucal, Révolution Mandingue et Matar Lebou.
Un artiste visionnaire
Perpétué par sa fille, Rachel et son mari Sayouba Sigué, tous deux danseurs internationaux basés à Lyon, le festival vient de signer sa douzième édition, poursuivant la vision de Gérard Chenet. « Quand il est arrivé à Sobo Badé, dans les années 1960. Quartier Bataille, il n’y avait personne. Sur ses terres, il a construit la grande maison, le théâtre, il recevait des amis comédiens, écrivains et s’est dit « pourquoi ne pas créer des chambres, un restau ? ». Pour mon père, tout était art et depuis son installation, il réfléchissait à comment utiliser les matériaux à disposition pour construire. Ne pas aller chercher les choses importées ou des choses fabriquées. Il y a des pierres qui sont là, je les plaque aux murs et voilà. Ça décore en même temps. Sa conviction était que l’art permet de transmettre des messages que l’on ne peut pas faire comprendre par les mots. Pour le festival et nos actions en général, on s’inspire de lui, de sa parole, de ses ambitions. Chaque année, le thème est choisi en réunion, avec une trentaine de personnes, du village, des jeunes, des plus âgés, des artistes, des non-artistes ». « Ici, à Toubab Dialaw, les gens ici sont super sensibles à la question de l’environnement. L’APDD (Association pour la promotion et le développement durable de Dialaw), qui porte le festival, a été créée par Gérard Chénet en 2010 pour répondre aux questions écologiques. Et tout de suite, la première édition du festival a été lancée. Gérard l’a créé pour cela. Quand on a pris la direction, toutes les thématiques étaient liées à l’écologie. On n’est pas des pros en écologie, mais on s’y met, on apprend. Il était visionnaire. Et nous on essaie de d’apporter au mieux », complète son mari Sigué.
L’art comme outil de sensibilisation
L’implication de la population locale a été renforcée ces deux dernières années par la mise en place de stands valorisant l’artisanat local créé et vendu par les mamans, l’utilisation d’espaces du village pour les spectacles (les cours des maisons notamment), par la participation de celles-ci et des enfants aux spectacles, notamment dans le très spectaculaire Diawarabine (danse du lion). Les enfants sont également sollicités pour les opérations « Set Setal » destinée à rendre le village propre en nettoyant chaque soir les plages. Ils participent à des ateliers divers comme en 2023 à la réalisation d’une exposition de dessins dénonçant les pollutions marines.
Les artistes du village ou du monde participent activement à cette sensibilisation. Artiste écologiste, slammeur, fondateur du « Temple des Esprits », une forme de galerie à ciel ouvert regroupant des œuvres dédiées à la dénonciation de la pollution, Assan Faye propose des créations utilisant des matériaux recyclés . « Je ramasse les déchets de la mer, les bois flottés, les ordures que je transforme en or dur. Ce qui m’a motivé, c’est de voir les plastiques qui traînent sur la plage. C’est nous qui jetons les plastiques que les poissons mangent et ensuite nous mangeons les poissons. Je mets mon art au service de la dénonciation de la dégradation de la nature ». Xam xam le philodoff (doff veut dire un peu fou) a plusieurs cordes à son arc. Il s’est spécialisé dans le upcycling. « Le upcycling c’est au-dessus du recyclage. Le recyclage, on détruit la matière alors que le upcycling on traite la matière telle qu’elle est. On la rend belle ». L’idée lui est venue en 2018 lors d’un voyage dans le Sine Saloum. « J’ai vu les ordures et que rien ne bougeait, j’ai commencé à recycler, à emmener sur une charrette, chez moi, et à créer des œuvres. Je fais également du slam pour dénoncer la pollution ».
Les déchets au cœur des débats
Pour la thématique de 2024, La place de l’art et de la culture dans la transition économique, écologique et sociale, l’équipe du festival a nommé pour la première fois un spécialiste des questions environnementales, Doudou Dione. Responsable du pôle éco-responsable, sécurité et santé, il est également chargé du respect de l’environnement, du tri et du recyclage des déchets. « C’est un point essentiel du festival, explique-t-il , et nous travaillons en étroite collaboration avec les associations locales, les partenaires et la commune. Cette année, nous avons mis l’accent sur la sensibilisation, la gestion des déchets et le comportement éco-responsable. On a eu par exemple avant le festival à faire un « set setal »(ramassage des déchet), le tour du quartier, on a trié les déchets et on a fait une analyse des déchets, déterminer les déchets qui sont le plus nombreux dans le village. On s’est rendu compte que ce sont les déchets plastique, les bouteilles d’eau notamment. On a sollicité la participation de Récuplast Sénégal (réseau qui collecte les déchets plastiques auprès des populations) sur cette question. Nous travaillons avec une association nationale, Zéro Déchets, qui assure des formations. Nous travaillons également avec la commission environnement de la ville par le biais de son président, Maurice NDir. L’unité de gestion et de coordination des déchets, UGC, sur la question des filets de pêche. Cette sensibilisation commence à porter ces fruits auprès des autorités comme des associations . il y a un ramassage qui se fait aujourd’hui tous les deux jours et dans cette évolution, les femmes jouent un rôle essentiel », conclue Doudou Dione.
Les femmes et l’imam au cœur du combat
Depuis dix ans, officialisée en 2023, existe l’association Souxali Toubab Dialaw (restons unis et développons le village). « A l’origine, elle ne comptait qu’une quinzaine de membres et aujourd’hui englobe 90 personnes dont l’imam du village qui profite de ses prêches du vendredi pour faire des opérations de sensibilisation », explique Gora Cissé, responsable de TD Environnement. Le plus gros problème d’environnement que nous ayons à affronter sont les coupes clandestines d’arbres, les déchets dans le village et la pollution marine avec les filets de pêcheurs. Nous avons mis en place un ramassage hebdomadaire des déchets sur les plages ». Dans cette lutte contre les déchets, les femmes jouent un rôle essentiel. Mareme Ndoye est la Présidente de Andata Couli Gueye Dialaw, une association qui regroupe une grande partie des femmes du village. « Nous avons créé cette association d’abord pour des questions de santé. Le village est très sale, les enfants sont malades, ont des boutons, des maux de ventre quand ils vont jouer sur la plage le soir au milieu des déchets. Nous pensons également à la santé de nos mères et de nos grands-mères. Alors on s’est mobilisé, on n’attend pas la mairie pour le faire. On a organisé quatre groupes, un groupe par quartier, et on quadrille la ville. On prend des balais, des pelles, des brouettes, des râteaux, des gants, des masques aussi. On fait cela trois fois par semaine, les mercredi, jeudi et dimanche, le soir entre 17h et 19h00. On nettoie les rues et les plages. Et on brûle les ordures dans un endroit où il n’y a personne ».
Un projet écologique menacé par le port
Depuis quelques années, Toubab Dialaw a fait la promotion de son image de « village écologique et culturel » réunissant au sein d’un collectif plusieurs associations artistiques dont la célèbre Ecole des Sables de la chorégraphe internationale Germain Acogny, l’AAPD, l’Association de Sobo Badé, le théâtre de l’Engouement, le centre Mampouya, l’association Diarama spécialisé dans le jeune public sans oublier la ferme des 4 chemins qui organise le marché Biodialaw, soutenant 6 groupements professionnels dont 250 agriculteurs comprenant 200 femmes.
Menacé par l’installation du port en eaux profondes qui s’apprête à exproprier certaines structures et aggrave les risques de pollutions, les artistes se mobilisent et tentent de dialoguer avec les autorités. « Notre collectif ne dit pas non au port bien que trois à quatre de nos structures doivent normalement disparaitre après l’installation du port. Nous tentons de leur communiquer le message suivant « Nous existons, accompagnez nous, nous voulons créer un poumon vert dans l’écologie, l’environnement, mais aussi préserver nos structures culturelles . Ce que nous faisons est important pour la jeunesse, pour la population locale. J’espère qu’ils nous entendront » plaide Rachel, La subvention accordée pour la première fois au festival par ce dernier et le soutien du nouveau ministère de la culture offrent une petite lueur d’espoir pour sauver le rêve de Papa Gérard et pour conjurer les prédictions du slammer Xam Xam le philodoff.
Je me nomme terre. J’ai beaucoup aimé l’homme de l’époque ancienne. Il connaissait bien ma valeur et prenait soin de moi. Je lui ai moi aussi tout donner. Je lui ai appris comment vivre en harmonie dans ma demeure. J’ai mis à sa disposition mes ressources, mes biens les plus précieux. Or, argent, pétrole, gaz, phosphate, fer, zircone, mercure, uranium, diamant, Maintenant, je le déteste parce qu’il m’a trahi, qu’il ne s’occupe plus de moi . Je le hais parce qu’il tue mes filles, les plantes. Je le maudis pour ces usines de production chimique. Maintenant je te préviens, je te mets en garde. Si dans les 50 années à venir, vous ne vous unissez pas pour me reconstruire, je meurs, oui et si je meurs , vous mourrez tous.
Texte : Sylvie Clerfeuille
Photographies : Willy Vainqueur
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